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Le 6 + 5

9 Juillet 2009 , Rédigé par R.Baggio

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Avant 1996, les clubs de football ne pouvaient aligner plus de trois étrangers sur une feuille de match. L’arrêt Bosman a permis d’abolir les quotas, et d’appliquer au football le principe de libre circulation des travailleurs, gravé dans le marbre par l’article 39 du traité de Rome. Les raisons de la polémique sont en réalité plus liées à ce que les dirigeants des grands clubs européens ont fait de cette liberté nouvelle qu’à la liberté elle-même. En effet, jamais l’arrêt Bosman n’a enjoint les clubs à tourner le dos aux jeunes locaux, ni à faire de cette liberté un système exclusif. L’arrêt Bosman a rendu quelque chose possible, mais possibilité ne veut pas dire obligation, ni extrémisme. Or, depuis quelques années, il n’est pas rares de voir des ténors du football européens évoluer avec un, voire deux nationaux seulement, chose qui n’existe pratiquement pas dans les autres corps de métiers. Le Français moyen ne sera pas surpris de constater qu’il est majoritairement entouré de Français, au travail, dans la rue ou au supermarché. Ca ne le choquera pas particulièrement, et il ne sera pas immédiatement pris d’une brusque envie de qualifier son pays de nationaliste, voire de raciste. Le monde du football est quelque peu différent, et certaines réactions à l’annonce du projet 6 + 5 sont très clairement hors sujet. Ni Platini, ni les ministres des sports européens, ne souhaitent encourager la hiérarchisation des races ou interdire le métissage.

  Le Big Four anglais, vitrine actuelle du football européen, vanté comme l’idéal, la référence absolue, serait, comme l’Inter Milan ou le Real Madrid, fortement mis à mal par un vote rapide du 6 + 5. Le fameux Liverpool-Chelsea du 14 mai dernier est un exemple assez révélateur de la tendance actuelle des clubs fortunés : deux Anglais chez les Blues (Cole et Lampard), et un seul, Carragher, du côté des Reds. Les absences de Terry et Gerrard ne changent pas grand-chose au problème. Arsenal, club londonien, donc théoriquement au beau milieu d’un des plus grands viviers de footballeurs en Europe, persiste à snober les jeunes Anglais, même si Theo Walcott est récemment venu jouer le rôle de l’exception. L’entraîneur des Gunners est, sans surprise, l’un des plus grands opposants au 6 + 5, à l’inverse, par exemple, d’Alex Ferguson, vainqueur de la Ligue des Champions 2008 avec un 11 type à majorité anglaise. Ce dernier déclarait, le 17 décembre dernier : Je pense qu'il y a lieu d'être inquiet quand on ne donne pas leur chance à des joueurs de la région ou du pays. En conséquence, je pense qu'il faut une limitation du nombre de joueurs étrangers dans chaque club. C'est comme ça qu'on protégera le système de formation des clubs.
Le football anglais mène la danse, et les autres suivent. Le Real galactique a montré ses limites, mais le retour de Perez semble annoncer un renouvellement de l’expérience. La définition du galactisme est, rappelons-le, l’association sous le même maillot des meilleurs joueurs de chaque grand pays de football, via des dépenses et dettes colossales. La somme d’individualités, la juxtaposition de talents, est censée produire un collectif efficace et rapporter des titres. Le théorème de Perez a pourtant bien montré ses limites il y a quelques années, mais il en faut plus pour dissuader les grands financiers qui se pavanent à la tête des clubs en question. Il s’agit pourtant de l’un des principes élémentaires du football : la construction d’un collectif efficace nécessite cohérence et cohésion. Les meilleurs joueurs du monde ne parlent pas nécessairement le même football, et n’entrent pas non plus toujours dans un schéma tactique donné, si tant est qu’on puisse parler de schéma tactique à propos du Real galactique.

En Italie, la résistance a duré plus longtemps, sauf à l’Inter. Moratti a créé une sorte de Chelsea du pauvre, jouant les premiers rôles en Italie, mais inapte à la Ligue des Champions. Les intégrations récentes de Santon et Balotelli tranchent avec la philosophie habituelle du club, et préfigurent peut-être un revirement inattendu.
La Juve a toujours cultivé son italianité, et le Milan a longtemps été pris entre deux eaux. Après avoir remporté deux Ligues des Champions avec des équipes à majorité italienne, le club rossonero semble en voie d’intérisation. Le remplacement de Maldini par Thiago Silva et l’intronisation de Leonardo au poste d’entraîneur sont deux premiers signes forts, confirmés par les transferts annoncés ces dernières semaines. Quelques italiens viennent grossir les rangs de la primavera, mais en équipe première, seuls les retours de prêt de Oddo (contraint et forcé), Di Gennaro et Abate font office de cache-misère. Abbiati, Zambrotta, Ambrosini et Pirlo devraient être titulaires cette saison. Quant à Gattuso et Nesta, tout dépendra de leur condition physique. Tous trentenaires, ces joueurs sont les arbres qui cachent la forêt, car, comme Maldini, ils n’ont que très peu de chances d’être remplacés par des Italiens à l’avenir. Et pourtant, les Rossi et autres Cigarini ont publiquement crié leur amour pour le Milan ces derniers mois, mais Galliani n’en eut cure.
 

Les sélections italiennes espoirs brillent pourtant régulièrement sur la scène internationale, et quelques jeunes, comme Marchisio, De Ceglie, Giovinco, Santon, Balotelli ou Motta ont déjà eu l’occasion de prouver leur valeur dans des clubs italiens huppés. Mais Bocchetti joue au Genoa, tout comme Criscito ; Cigarini vient de signer à Naples, et Acquafresca est prêté à l’Atalanta … en sachant que les deux premiers cités ont le niveau pour être titulaires au Milan, que Cigarini serait le regista idéal, et qu’Acquafresca est le profil d’attaquant recherché par le club de Berlusconi . Et nous ne parlons que de joueurs connus du grand public. Le drame est que, faute de perspectives, de nombreux jeunes talents changent d’orientation, ou restent stagner dans les divisions inférieures. Ces mêmes jeunes, qui, il y a une quinzaine d’années, bénéficiaient de l’ascenseur social italien, en passant du Torino au Milan AC, ou de Cremonese à la Juventus, sont aujourd’hui ignorés par des entités financières en quête de merchandising et de marchés asiatiques. Pour justifier tout cela, le système a ses arguments phares, pourtant assez facilement réfutables :

 

- Le spectacle, qui serait incompatible avec le terroir. Question de point de vue ...
- La présumée baisse de niveau des jeunes Européens : là encore, argument irrecevable, car les faits démontrent le contraire ;
- Le prix soi-disant plus élevé des nationaux … certainement pas en Italie ;
- Les stars étrangères vendraient plus de maillots. Il est assez peu vraisemblable que Del Piero ait moins vendu que Shevchenko, ou que Kaladze ait plus vendu que Maldini. En réalité, on sait surtout que les attaquants vendent mieux que les défenseurs, et qu’en Italie, on recrute traditionnellement nos attaquants à l’étranger, car le label rouge italien s’applique à d’autres postes.

  Pour résumer brièvement, nous constatons :
1) Qu’il n’est pas moins risqué d’intégrer un jeune du pays qu’un –inho déraciné, au contraire ;
2) Que la baisse de niveau des clubs italiens coïncide avec le processus de désitalianisation, et avec l’abandon de nos spécificités tactiques historiques ;
3) Que le phénomène d’exclusion des jeunes italiens est une réalité ;
4) Que la Nazionale connaît une crise sans précédent, y compris en défense, fait rarissime, pour ne pas dire unique depuis au moins trente ans.

  Le 6 + 5 est-il la solution miracle ? Sur ce point, les avis sont partagés. Certains croient à une réaction efficace spontanée des dirigeants de clubs, mais d’autres pensent que rien ne changera sans loi, car les intérêts financiers et sportifs ne concordent pas toujours. Le 6 + 5 est probablement nécessaire, mais il devra quoi qu’il arrive être accompagné d’autres mesures économiques intelligentes, permettant de réguler un système de plus en plus orgiaque.

 

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