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Le football moderne

18 Juillet 2009 , Rédigé par R.Baggio

Il existerait une tendance obligatoire et incontournable, modèle absolu à appliquer à la lettre, appelée football moderne. Le concept de football moderne régirait la planète football, et ne souffrirait aucune contradiction, aucune rébellion, qui serait perçue comme un crime de lèse-majesté. Le football moderne se serait imposé naturellement comme une évidence, comme le point de départ de toute entreprise dans le monde du football d’aujourd’hui. Surtout ne pas réfléchir, le football moderne a déjà pensé le monde avant vous, et créé un système de références parfait. Toute réflexion ou action hors du système serait par définition caduque, impertinente, et hérétique. La réflexion, c’est bien connu, précède la désobéissance, donc mieux vaut ne pas s’y aventurer.

Mais qu’est-ce que le football moderne ?

Le football moderne est d’abord offensif, et exclusivement offensif. L’objectif est de marquer et d’encaisser le plus grand nombre de buts possible, afin de satisfaire les instincts d’un peuple qui pense forcément « football moderne », et pas autrement. Le nombre de buts inscrits au cours d’une rencontre en donne l’indice de qualité. Si vous proposez un jeu fermé, axé sur la défense, et la contre-attaque, vous êtes exclu du club très select du football moderne, et pointé du doigt comme le méchant, la lie de la société. Le traitement réservé en juin 2006 à l’équipe nationale d’Italie par la presse européenne illustre assez bien ce point. La Squadra, exhibant son football traditionnel aux yeux d’une presse avide de football moderne, fut la risée – jaune – de tous. Le football moderne, très bien organisé, a ses codes, ses valeurs, et tient à les faire respecter. Par exemple, la construction des offensives d’une équipe adoubée par le système passe forcément par des ailiers, et des latéraux offensifs. Le poste de milieu offensif axial, jadis numéro 10, est mort, car les théoriciens du football moderne en ont décidé ainsi, et il n’est bien entendu pas question de douter du bien-fondé de leur jugement. Les arrières latéraux ne doivent plus défendre, mais se contenter d’attaquer. Dès leur plus jeune âge, on leur enseigne les grands principes modernes qui caractérisent le poste : « courez, attaquez, centrez, mais surtout ne défendez pas, ne taclez pas, ne soutenez pas votre défense centrale. C’est pas bien, ça diminue le nombre de buts marqués au cours d’un match. » 

Le football moderne est également physique, et ne tolère que des coureurs de fond. La technique, optionnelle, ne peut suffire seule, car « tout va trop vite, tout est trop dur pour un technicien pur. » Le football moderne envoie ses recruteurs superviser les compétitions d’athlétisme, car le profil de joueur recherché s’y trouve plus facilement que sur un terrain de football. Qui dit sprinter dit défenses transpercées, buts marqués, spectacle assuré, et football moderne rassasié. Le football moderne dicte également les lois qui régulent les récompenses individuelles des joueurs. Un défenseur ne peut être honoré qu’en dernier recours, si toutes les autres solutions ont été épuisées. Il est de bon ton de faire prévaloir les attaquants et les milieux offensifs sur leurs camarades porteurs d’eau, car seuls comptent les buts marqués. Chacun peut constater que le football moderne tient bien son sport, et est au départ (modelage du jeu) et à l’arrivée (récompenses) de tout processus. Le football moderne est, par conséquent, un grand spécialiste de l’autocongratulation, tout fier qu’il est de maîtriser parfaitement les rouages de son système.

Le football moderne aime beaucoup l’argent. Plus que le football, diront certains, mais ces gens ne peuvent être que jaloux de la réussite sans précédent du football moderne. Le génie du football moderne est d’avoir su créer un cercle vertueux, composé de dirigeants stars, de joueurs stars, de maillots stars, et de stades stars. Florentino Perez a consacré le football moderne via son étendard le plus brillant : le galactisme. L’objectif, atteint, était de réunir sous le même maillot le meilleur Espagnol, le meilleur Portugais, le meilleur Français, le meilleur Brésilien et le meilleur Anglais, pour flatter l’iris des futurs acheteurs de maillots. Transferts records, salaires records, et ventes records, forment la devise du dirigeant moderne, et ce, peu importe les résultats sur le terrain. Le Real a sombré, faute de collectif cohérent, mais les maillots se sont vendus, et le sieur Perez s’apprête à renouveler l’expérience avec le neogalactisme. L’Inter ou Chelsea suivent et contribuent à l’implantation de ce système pour riches en Europe, et d’autres s’inscrivent peu à peu dans la même démarche. Les clubs s’endettent, les symboles se brisent, les traditions disparaissent, la culture fond, c’est le football moderne. Si c’est moderne, c’est bien, donc il faut poursuivre dans cette voie déjà tracée par les chasse-cultures dernier cri du football moderne. Suivez les modes, pliez-vous aux saints principes et aux saintes idées du football moderne, seul détenteur de la vérité, seul guide vers bonheur.

  Bien entendu, le football moderne ne s’encombre pas de restrictions aberrantes : pour le football moderne, il n’existe ni pays, ni nations, ni terres, ni peuples, ni langues, ni frontières, ni cultures. Ces notions désuètes n’ont plus leur place dans le monde merveilleux du football moderne. Il n’y a qu’un monde, qu’un modèle de jeu transcendant, qui fait fi de tout le reste, tant que l’argent coule à flot. L’objectif ultime du football moderne est d’ailleurs de s’affranchir du lourd fardeau que constituent les pauvres. Le projet Superleague permettrait d’extraire les clubs les plus riches de leur environnement national pour les confronter dans un tournoi idéal, fait de paillettes, de pubs télé et de maillots dorés couverts de sponsors. Le FC Nutella rencontrerait le Destop AC au stade Lotus, pour le plus grand bonheur de tous. Il va de soi que les superstars du ballon rond n’auraient plus de temps à consacrer à leur équipe nationale, si elles existent encore. Leur suppression n’est pas à exclure, car elles constituent un frein encombrant à l’expansion du football moderne.

Ainsi va le football moderne, fort de sa raison, de sa vérité, de son règne.

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