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La sostituzione moderna

27 Juillet 2019 , Rédigé par R.Baggio

À l’heure où le rossonero vire au nerazzurro du côté de Milanello, Patrick Cutrone est contraint de s’exiler en Angleterre. Deux ans après son éclosion fulgurante et la mise au pas de Kalinic et Silva, internationaux croate et portugais, le Milan le congédie au profit de Leao, autre international portugais, remplaçant en Ligue 1, dont l’efficacité devant le but semble moins évidente que l’insolente somme déboursée par le Milan, dépeint comme impécunieux depuis des mois. À la moins-value financière s’ajoutent donc les doutes sur le niveau réel du remplaçant et la déception des tifosi de San Siro, qui avaient fait de Cutrone leur favori depuis deux ans, et lui avaient renouvelé leur attachement via divers sondages sur des sites milanistes ces dernières semaines.

 

Cependant, la énième trahison du peuple milaniste par ses dirigeants ne surprend guère, car la disgrâce du jeune attaquant italien a été minutieusement orchestrée en amont, dès l’été 2018. Après la saison de la révélation, la relégation sur le banc des deux internationaux étrangers, et les dix buts inscrits en championnat, miraculeux eu égard à l’aridité de l’animation offensive milanaise ; après avoir gagné de haute lutte ses galons de titulaire, Cutrone a dû s’éclipser, et laisser place à un Higuain moribond, expédié en Angleterre six mois plus tard. Puis, la réussite immédiate de Piatek et l’obstination de Gattuso pour un 433 toujours stérile ne lui ont laissé que trop peu de temps de jeu et d’occasions pour se rappeler au bon souvenir de San Siro, qui le réclamait à chaque rencontre.

 

Le football moderne préfère les défenseurs qui attaquent, quitte à moins bien défendre ; et les attaquants qui défendent, quitte à moins marquer. On reproche au jeune attaquant de vingt-et-un an de n’être que finisseur, de ne vivre que pour sa fonction d’avant-centre, et de combler moins bien que son remplaçant les lacunes des milieux offensifs et des ailiers. On lui reproche en somme d’être spécialiste, donc anachronique dans un football qui exige que tous fassent tout à moitié. Cutrone paye les imprécisions de Castillejo et Kessie, l’irrégularité de Suso et les lacunes de Calhanoglu. Ses coéquipiers ont incontestablement failli en privant leur buteur de ballons exploitables, et entamé au fil des mois la confiance qui fonde l’efficacité d’un buteur à tout âge. Pourtant, ils sont maintenus.

 

Pire, le Milan ne sait plus valoriser un potentiel. Un talent se pétrit, se modèle, se cultive et se développe… au moment opportun. Des dirigeants constructifs ne peuvent ignorer qu’une progression doit être soutenue et encouragée à l’instant T : on ne bride pas un joueur en pleine ascension. Exclure un jeune talent de son cocon le prive de ses repères, de ses racines, et hypothèque gravement les perspectives de réussites. Peut-être faut-il y voir le principal élément de réponse à la question que se posent de nombreux observateurs du football italien : pourquoi les jeunes qui, comme les U17 depuis deux ans, brillent avec leur sélection, ne percent-ils pas davantage en équipe première ? Si, en juillet 2018, alors en pleine confiance, Cutrone avait été confirmé dans les fonctions qu’il avait conquises par son travail et sa détermination, la situation serait certainement très différente aujourd’hui. De surcroît, une meilleure animation offensive, conditionnée par le recrutement de milieux de terrain et/ou d’ailiers plus créatifs et réguliers, aurait sans doute perpétué la confiance et l’efficacité de l’attaquant.

 

Les clubs italiens, qui brillaient avec les jeunes du cru, déchoient désormais sans eux. À l’heure où le peuple italien lutte pour ses emplois, la sauvegarde de son patrimoine culturel et son identité, le Milan cherche à se départir chaque année un peu plus de ses valeurs originelles, à exclure ses jeunes talents (cf. Plizzari et Bellanova), et à parfaire son intérisation, au mépris des aspirations du peuple de San Siro. C’est le football moderne : déraciné, déculturé, mais surtout nouveau, donc mieux, et à marche forcée, pour Cutrone comme pour nous.

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