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Formatage et déculturation

16 Juillet 2012 , Rédigé par R.Baggio

 

mondialisme3

Le dernier championnat d’Europe a confirmé à peu près tout ce qui est écrit sur ce blog depuis quelques années. Tout d’abord, les audiences tv atteignirent des niveaux spectaculaires, pulvérisant sans surprise les scores habituels des compétitions de clubs, ligue des champions incluse. 23,5 millions d’Italiens se délectèrent du mythique Italie-Allemagne en demi-finale. 9,5 millions de Français, maugréant encore contre les mutins du bus de Knysna, et d’habitude rebutés à la fois par le football italien et par la sélection allemande, ont également suivi le match.

Et si, contrairement aux idées reçues, les vrais amateurs de football, lassés de ce que le commun des naïfs et les mondialistes persistent à appeler complaisamment football moderne, sélectionnaient ? Et si finalement le libre arbitre primait sur l’abrutissement des masses ? Nous ne prétendons pas apporter une réponse catégorique à cette question, mais depuis que ce sport existe, le football des nations a toujours nettement primé sur le football des clubs dans le cœur des gens, malgré la posture antinationale des apôtres du football dit moderne depuis plus de dix ans. Le football des nations constituait ces dernières années une sorte de refuge, de bastion de résistance à la déferlante mondialiste, qui gagne du terrain, détruit et ensevelit chaque jour un peu plus. C’était un football de différence et de représentation, auquel s’identifiaient plus aisément les afficionados qui ne se sentent pas citoyens du monde, mais bel et bien anglais, italiens, allemands, français, espagnols ou portugais, pour n’en citer que quelques-uns. Oui, car le bréviaire mondialiste n’a jamais su contourner l’axiome qui définit la relation entre le sport de haut niveau et son public : 99% des amateurs de football soutiennent leur nation, et non pas l’équipe qui joue le mieux – il conviendrait de s’interroger sur l’universalité et l’objectivité du beau jeu, au passage.

 

Or, si représentativité et proximité objective entre peuple et sélection semblent immuables, l'Euro 2012 a sérieusement entamé les certitudes passées qu’étaient les identités de jeu. Prenons les grandes – adjectif à relativiser en ce moment – nations européennes : l’Angleterre a abandonné le kick and rush, ainsi que sa version allégée des années 90-2000, pour un catenaccio du pauvre, digne de la résistance produite par une équipe de CFA contre un gros en coupe de France. Le Portugal, loin des flamboyants Rui Costa, Figo, Joao Pinto et autres Sergio Conceiçao, pratique un football certes plus complet, mais finalement assez proche de celui des 3 lions. L’Allemagne, autrefois si rigoureuse, valeureuse et solide, tâche de latiniser son jeu depuis quelques années, avec un certain succès esthétique d’ailleurs, mais sans l’efficacité d’antan.

L’Italie, Prandelli oblige, fait table rase de cinquante ans de rigueur défensive, de cynisme et d’arrivisme insolent, pour n’être fatalement qu’une bien pâle copie de la Furia Roja, seule équipe capable d’assumer son football traditionnel à l’heure actuelle. La fin première du mondialisme est le gommage de toute spécificité, de toute aspérité, de tout particularisme culturel. Telle une force centripète, il contraint ses proies à converger vers un centre mou, vers l’uniformité. L’Espagne exceptée, chaque nation européenne s’éloigne de son extrémité du cercle, en faisant chaque année un ou plusieurs pas en arrière, réduisant ainsi petit à petit l’espace qui la sépare de ses concurrentes. L’aboutissement du projet, peut-être dès 2014 au pays du football roi, est le football unique, pendant de la pensée unique. Nous verrons si des bastions de résistance, à l’image de l’Espagne, vitrine de la cantera barcelonaise, voient le jour, ou si l’idéologie la plus décalée de son temps annihile les récalcitrants.

 

  En réalité, personne ne s’émouvrait de cette évolution si le centre mou en question était synonyme de football idéal, à la fois beau – rappelons que les critères esthétiques restent à définir – et efficace. Or, tout le monde ou presque reconnaît aujourd’hui que le niveau global ne cesse de chuter, à la fois en club et en sélection. Les défenses, en particulier, n’ont jamais été aussi friables, les attaquants n’ont jamais été aussi maladroits devant le but, et la raréfaction des meneurs de jeu, remplacés progressivement par des coureurs de fond, nuit tout autant à la construction du jeu offensif. A l’image des sélections nationales, le joueur de football est aspiré vers un centre mou : il doit savoir défendre, attaquer, récupérer, passer, marquer, rentrer dans un moule à uniformité, quelle que soit son équipe, quel que soit son poste, quelles que soient ses qualités. Ainsi, l’attaquant de pointe n’est plus exclusivement buteur. Il constitue le premier rideau défensif, et doit donc gêner les relances adverses, mais également se mouvoir de part et d’autre du terrain, redescendre chercher les ballons que le coureur de fond est moins capable de lui transmettre que l’ancien numéro dix, dont c’était la fonction. L’attaquant de pointe se disperse, s’épuise, et dilapide une énergie qui lui servait autrefois à marquer des buts. C’est ainsi que, malgré les nombreux espaces que lui offrent volontiers les défenses bienveillantes du vingt-et-unième siècle, malgré les ballons à tête chercheuse dont il dispose, l’attaquant de pointe ne dépasse pas la barre des trois buts en compétition internationale, alors qu’il en marquait deux fois plus il y a quinze ans. Les nombreuses tâches qui lui sont assignées sont, conjointement avec la formation à l’éclectisme médiocre, la raison principale de ce constat d’échec. Combien d’attaquants sont aujourd’hui capables de faire une reprise de volée dans n’importe quelle position, à l’exemple d’un Papin, d’un Djorkaeff ou d’un Batistuta ?

Le défenseur latéral illustre parfaitement ce phénomène : il doit accélérer, dribbler et centrer prioritairement, mais l’aspect défensif est secondaire, pour ne pas dire négligé.

 

Résumons : les joueurs sont aseptisés, le jeu est aseptisé, donc les clubs et les sélections sont aseptisés. Le terme convient parfaitement dans la mesure où les particularismes sont perçus comme obsolètes, voire dangereux. En effet, n’y aurait-il pas une forme de discrimination stigmatisante (néologisme choisi) et xénophobe dans les généralités rebattues, du type « les Italiens défendent bien et gèrent le résultat », « les Portugais sont des tripoteurs de ballon », « les Allemands sont rugueux et sobres », « les Anglais sont vaillants, combatifs, et dominateurs dans le jeu aérien » ? Tout lecteur de bon sens aura perçu l’absurdité d’une telle question, mais ce gommage des différences n’est-il pas d’une certaine manière ce vers quoi tendent nos sociétés, dans le domaine du sport ou ailleurs ? La fierté catalane, évoquée par les joueurs du Barça eux-mêmes, et surtout incarnée par cette équipe dont l’essentiel constitue la colonne vertébrale de la sélection championne du monde et double championne d’Europe en titre, demeure, semble-t-il, l’unique bastion de résistance au mondialisme en Europe. L’existence même de ce projet est facilitée par l’affection de la majorité des afficionados pour le football léché, offensif, technique et collectif, aux antipodes d’un catenaccio moins commercial, et surtout décrié par la presse mondiale. Le fait est qu’une équipe en phase avec son identité de jeu, définie depuis des décennies, domine un football européen aseptisé depuis plusieurs années, au moment où l’Italie laisse de côté ses saillies pittoresques, pour rejoindre la masse des médiocres.

 

Nous avons évoqué la responsabilité d’un Prandelli romantique, proche des jeunes entraîneurs italiens, comme Spaletti, mais si loin des maîtres du grand calcio, Capello, Lippi, ou encore Nereo Rocco ! En effet, il serait injuste d’occulter la responsabilité des dirigeants et entraîneurs des clubs de Serie A, responsables de ces nouvelles orientations, mais aussi et surtout réfractaires à toute politique de renouvellement des générations en Italie. La Serie A n’a jamais compté aussi peu de joueurs italiens, et le mercato en cours semble confirmer la tendance. Nous ne reviendrons pas sur la nécessité objective d’un large choix pour le sélectionneur, ni sur la bêtise des théoriciens de la tare congénitale italienne (et, donc, anglaise, entre autres) post-1996, car ces sujets ont été traités en détail précédemment. En revanche, il est incontestable que l’abandon de la formation, et la très faible – ou trop tardive – promotion des rares jeunes qui survivent à ce système mortifère, sont à l’origine du processus de déculturation en cours. Concrètement, comment, du côté de Milan, justifier le choix de Mexes au moment où Astori appartenait encore au club ? Comment se jeter sur Traoré et Constant alors que Cigarini, Poli et Verratti sont sur le marché ? La liste est longue, à Milan comme ailleurs, et si la sonnette d’alarme est tirée par les médias depuis 2010, il semble que seule la loi permettrait aux dirigeants de clubs de recouvrer la raison, et à l’Italie de retrouver ses couleurs. De même que  la formation permet à Barcelone de briller et de faire briller l’Espagne selon les codes définis par la Massia, c’est par l’éducation de ses jeunes footballeurs, et par leur association dans ses clubs que l’Italie retrouvera un football productif, aux codes tout aussi précis, dont profitera tout autant la Nazionale. Pour résister au rouleau compresseur, il faudra faire des choix courageux, mais qui veut vraiment résister ?

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